Les personnes ici qui ont croisé Marc savent un peu quel genre d'olibrius il était.
Pour les autres, et pour moi aussi, parce que son départ me bouleverse profondément, je voudrais tenter de le raconter un peu, de raconter aussi le bout de chemin que j'ai fait avec lui ...
Ça commence par une expérience que la plupart d'entre vous connaissent : je venais de tomber sous le charme de l'ukulele... Et comme vous l'imaginez, je passais le plus clair de mon temps soit à jouer, soit à traîner non pas sur ce forum exactement, mais sur son ancêtre, créé par le très inspiré Bertrand Saint Guillain.
Je pense que c'était en 2009 et rapidement j'ai voulu partager cette découverte avec des vrais gens. Il n'y avait à l'époque rien à Amiens, alors j'ai poussé la porte du caf&diskaire à Lille, où se réunissait le COULE, club olympique d'ukulele et de Lille et des environs.
C'est là que j'ai rencontré Marc et nous étions clairement dans la catégorie "des environs", lui venant de Mons en Belgique et moi d'Amiens.
J'ai compris des années après, que le COULE était le premier club du genre en France et qu'il s'était créé peu de temps avant mon arrivée, dans la foulée d'un concert un peu historique réunissant Dominique Cravic et les Japonais des Sweet hollywaiians dans nos contrées nordiques.
Le COULE était (est toujours j'espère) un club du genre « pas prise de tête » où nous passions l'après-midi à causer, à essayer des instruments (on avait quand même commandé une dizaine d'ukuleles à un certain Sylvain Enjoubeau qui lançait alors un modèle qui fait fureur depuis ...) et à jouer en nous amusant beaucoup.
Marc n'était pas spécialement friand des arrangements expérimentaux que nous pouvions faire sur du Joe Dassin ou du Mylène Farmer, et il arrivait toujours un moment où profitant d'une pause, il prenait la main et nous offrait ce genre de moment musical où tout le monde se tait, la mâchoire tombante et les oreilles grandes ouvertes ...
Je crois que l'on a commencé à se tourner autour, un peu comme dans une sorte de flirt musical.
Et un jour, je ne sais plus lequel, mais l'un de nous a glissé à l'oreille de l'autre : "dis, ça te dirait pas de faire un truc à deux ?...".
La semaine suivante, j'étais chez lui, dans cette maison qui lui ressemble tant, avec son odeur de bon café ou de cuisine épicée selon l'heure, son univers kitch et de bon goût à la fois, fait d'objets chinés, de mille souvenirs savamment mis en scène, ses dessins, ses affiches et ses instruments partout.
Marc avait préparé des chansons comme on prépare un repas en mettant les petits plats dans les grands pour une belle rencontre, attendue. Il avait choisi minutieusement les recettes qu'il aimait : de petits trésors swing ou ragtime, des compos, des reprises...
Il avait mis beaucoup d'attention dans ce moment et c'est quelque chose que j'ai toujours retrouvé lors de nos rencontres suivantes.
Cette première fois, nous avons beaucoup joué et à la fin du week-end end, je suis reparti avec des enregistrements magiques sur lesquels j'ai passé les semaines suivantes à poser mes petites touches d'ukulele et de percussions.
C'est comme cela que les
Ukulele Preachers sont nés.
Et pour être honnête, cela a représenté une vraie petite révolution pour moi.
Une petite révolution musicale déjà. J'avais fait pas mal de musique plus jeune, je m'en étais un peu détourné pour plein d'excellentes raisons. C'est comme si Marc m'avait rattrapé par le col et m'avait fait replonger, avec beaucoup de jubilation, en plein dedans. C'est une période qui m'a fait découvrir de nouvelles musiques, de nouveaux instruments, de nouvelles et belles personnes, une nouvelle envie de musique. Une période qui m'a fait à la fois me retrouver et me faire avancer sur des chemins nouveaux. Rien que de cela, je lui suis infiniment reconnaissant...
Mais cette petite révolution était aussi directement liée à la personnalité de Marc, indépendamment de la musique.
Marcarthur était un sacré personnage, comme on en rencontre rarement dans une vie.
Déjà, c'était un homme doté de talents multiples. Graphiste redoutable, illustrateur au style personnel affirmé, compositeur, musicien talentueux, chanteur absolument bouleversant...
Fin connaisseur de musiques diverses, féru de littérature, bricoleur inventif, jardinier, jouisseur et libre penseur par-dessus tout.
Mais ce qui le rendait unique, c'était un mélange d'humanisme discret et d'humour surréaliste forcené. Un mélange qui l'a toujours guidé dans la vie, dans sa façon de voir le monde, dans sa façon d'aborder sa relation aux autres.
Il était maître dans l'art de raconter des histoires de façon irrésistible, mêlant les accents, inventant des langues. Son esprit était toujours prompt à échafauder des théories abracadabrantesques et loufoques ; le regard qu'il posait sur les choses, sur les gens, était toujours teinté d'une ouverture d'esprit, d'une bienveillance et d'une joie de vivre contagieuses.
Alors bien sûr, comme chacun d'entre nous, il avait des défauts, avec lesquels il fallait composer. Mais toutes ses qualités faisaient de lui un personnage irrésistible que l'on quittait toujours en ayant fait le plein d'éclats de rire et en se sentant un peu plus riche, un peu plus léger....
J'ai passé avec lui beaucoup de moments musicaux intenses, des moments de découvertes, de partage et de joie. Mes souvenirs sont à l'image de son univers : riches et bariolés.
Comme tous les gens qui l'ont croisé, je me sens heureux d'avoir fait un bout de route avec lui.
Mais il va laisser un grand vide dans mon paysage pour le restant du voyage ...