Je me souviens que, lorsque j’avais une vingtaine d’années, le blues était quelque chose d’horrible,
joué par des vieux ventripotents qui roulaient en Harley et jouaient très fort sur des guitares électriques
d’interminables solos assommants de bêtise.
Monté à Paris de ma lointaine province, je suis entré chez un petit disquaire près des Halles dont l’enseigne
indiquait : Blues. Dans les bacs, il y avait des centaines de disques inconnus. Le vendeur était un vieux barbu
d’au moins 35 ans. Je lui ai dit : « vous pourriez me conseiller un disque ? Je n’y connais rien. Chaque fois que
j’écoute du blues, c’est horrible. Pourtant, je suis sûr d'aimer ça. » Le type ne s’est pas démonté, il m’a tendu
un disque jaune avec la photo d’un monsieur noir : « écoute ça ». C’était « That’s Where It’s At! ».
Un truc incroyable. Je l'ai toujours, dans sa belle pochette.
Je me souviens que John Lee Hooker était très vieux, il avait un peu de mal à marcher. Il arrivait sur scène,
s’asseyait sur sa chaise, ne faisait rien, et c’était déjà le blues. Puis il s’approchait du micro, il attendait un
peu, faisait : « hmmm, hmmm » et c’était parti. Là-bas, très loin.