Je citais un article d'un magazine de guitare qui questionnait le luthier Daniel Friederich (très célèbre luthier de guitares classiques, parmi les plus réputés).
J'ai retrouvé le texte, où il parle de guitares qui se font en les jouant et se bonifient en vieillissant... (ce qui est valable pour les guitares l'est aussi pour les ukulélés)
Q : Neuve, ma guitare était «verte», je l'ai «faite» en jouant dessus
En fait, ce guitariste n'a rien modifié de sensible. L"instrument s'est simplement stabilisé sous la tension des cordes (40 kg environ). D'autre part, en fonction de la résistance à la déformation de la table et du degré hygrométrique de l'environnement, on peut observer une modification plus ou moins heureuse de la « réponse ». II faut noter aussi que les résines, qui sèchent très lentement à l'intérieur de certaines cellules de bois de la table, peuvent opérer un collage interne de celles-ci. Dans le bois, les cellules longitudinales, ou trachéides, sont de minuscules tuyaux de quatre centièmes de millimètre de diamètre environ, reliés par des attaches plus ou moins fortes et qui constituent 90 % de la matière ligneuse de la table. Ces trachéïdes auront moins de souplesse avec des parois épaissies, solidifiées par ces dépôts, donnant ainsi moins d'amplitude aux mouvements vibratoires de la table, mais plus de caractère au son, éventuellement avec des pointes de résonance plus marquées et, hélas, moins d'homogénéité dans le niveau sonore des différentes notes. Remarquons encore que l'action des fréquences fournies par les cordes sur ces résines du bois ne peut les polymériser, les transformer. Le plus gros du spectre sonore d'une guitare classique se situe en dessous de 4000 Hz, et les quelques harmoniques plus élevés composant un La 880 Hz (17e frette du suraigu) sont encore trop bas et dénués d'énergie suffisante pour agir sur la matière résineuse. On pourrait aussi se demander si le travail mécanique appliqué à la table ne pourrait en modifier la matière. N'oublions pas que, joué d'une façon ou d'une autre, l'instrument, et spécialement sa table, est parcouru de vibrations, de frémissements intenses, de micromouvements rapides dont l'amplitude atteint un dixième de millimètre pour le Mi grave 82 Hz. Alors, comme pour un avion en fonctionnement prolongé, on pourrait théoriquement penser à une fatigue du matériau due à cette agitation, d'ailleurs combinée avec la tension permanente des cordes. Tout cela n'entraînerait-il pas un début de dislocation des cellules ? Mais, en dépit de tous ces facteurs de caractère très général, on peut dire que l'influence de la technique de jeu personnelle du guitariste paraît nulle.
Q : Les guitares se bonifient en vieillissant
II faudrait dire, révérence parler, que «les guitaristes se bonifient en vieillissant » ! En fait, quand le musicien s'est accoutumé à son instrument, il a modifié insensiblement son jeu au fil du temps. Il s'est progressivement adapté à sa guitare. Sa sensibilité et son talent aidant, il a réellement la sensation que la guitare s'est améliorée. Quant au luthier, il lui est loisible d'entendre (en souriant) dire que si la guitare s'est améliorée, c'est par l'action du guitariste, ou au contraire que si la guitare semble devenue mauvaise, c'est nécessairement par sa faute à lui, luthier...
Q : Une guitare non jouée se dégrade
Si la guitare ne quitte pas l’atelier de son créateur, elle a toutes les chances de bien vieillir, en subissant seulement la tension des cordes qui se traduira par une compression transversale des fibres de la table devant le chevalet et une distension derrière. On peut raisonnablement penser que, contrairement à une machine composée de pièces en mouvement, l’instrument se comporte tout aussi bien s’il n’est pas joué. Ajoutons que certains bois de table d’une même espèce, comme épicéa, sapin, Western Red Cedar, présentent une texture variable : forte s’il s’agit d’un bois de fin d’automne, formant des veines sombres, importantes, bien marquées, beaucoup plus denses et résistantes que s’agissant d’un bois de printemps, aux cellules à parois minces et souples. Ces veines dures d’automne, quand le climat et le terrain sont propices, confèrent au bois une résistance mécanique plus importante ; c’est une armature naturelle qui permet à la table de bien résister dans le temps, et donc à l’instrument de garder ses qualités. Mais le problème n’est pas si simple, car le luthier est amené à travailler ses bois jusqu’à la limite de leur résistance à la déformation. C’est à ce point critique qu’il obtiendra un instrument sensible, doté d’un son souple, ample et facile à faire vibrer. Trop épaisse ou trop barrée, la table donnera des graves pauvres (toutes choses égales d’ailleurs), qui manqueront de corps, et des aigus secs, sans moelleux. Un peu trop fine ou peu barrée, la table donnera un peu trop de graves ; on aura alors du moelleux, mais une sonorité sombre, obscure, dont la voix, dans la polyphonie, se détachera mal. De plus, l’instrument sera assez fragile, instable dans le temps, avec une sonorité « versatile », qu’il soit joué fréquemment ou non.