Bon, zou, je vous donne le fruit de quelques agréables soirées de recherches... Au moment où le DD se montait, j'ai proposé, un peu bêtement, d'écrire une rapide histoire de l'uke, sans rien y connaitre. Dans ma tête, j'allais passer une soirée à traduire quelques articles Wikipédia et ça irait bien. Puis, de déterrage en déterrage, nous voilà un mois et demi plus tard et j'ai l'impression d'avoir à peine grattouillé la surface. Alors pour le moment, je m'arrête à la "première vague", jusque dans les années 30.
J'ai bien vu que des érudits traînaient par là...
Si je raconte des conneries, il faut me corriger, de même pour les oublis (mais ne jetez pas les cailloux trop fort).Notre histoire débute en 1879, quand un bateau portuguais, le
Ravenscrag, débarque à Hawaii 400 personnes. Parmi elles, on trouve trois luthiers :
Manuel Nunes,
José do Espírito Santo et
Augusto Dias. Ceux-ci, à force de bidouiller les instruments traditionnels portuguais (
carvaquinhos,
braginhas,
machete et autres
rajao), arrivent à une nouveauté à 4 cordes, qui sera finalement baptisée ukulélé.
De gauche à droite, Monsieur Nunes et son blason, un ukulélé de monsieur Santo (dont je n'ai pas trouvé de photo) et son étiquette, et monsieur Dias et un de ses ukulélés. Cette création originale intéresse beaucoup le dernier roi d’Hawaii,
David Kalākua (le King David, comme dans, comme dans ? Oui, comme dans King David Ukulele Station, bravo les deux du fond qui suivent !).
C'est lui, le roi David. Celui-ci, passionné de musique et cherchant à donner un coup le fouet au rayonnement culturel hawaïen, va promouvoir l’ukulélé comme un instrument traditionnel. La famille royale, puis le reste de la population, se met rapidement à l’ukulélé.
En 1898, les Etats-Unis annexent la République d’Hawaii… et découvrent l’ukulélé par la même occasion. A l’exposition Panama Pacific, qui se tient en 1915 à San Francisco, George E. K. Awai et son
Royal Hawaiian Quartet, ainsi que
Jonah Kumalae, luthier et musicien, font partie des attractions du
pavillon hawaïen.
Ici, monsieur Kumalae, ses ukulélés et son orchestre; G.E.K. Awai (au centre) et son orchestre, le pavillon hawaïen. 17 millions de visiteurs plus tard, la
folie ukulélé a contaminé l'ensemble des USA: les Kumalae partent comme des petits pains, et l’ukulélé se répand dans les orchestres, mais aussi chez les amateurs. Tout le monde veut apprendre à en jouer! Ça tombe bien, la première méthode, celle d’
Ernest K. Kaai («
The Ukulele, A Hawaiian Guitar and How to Play It ») est disponible depuis 1906.
Une illustration de L. M. Glackens dans le New York Tribune
du 5 novembre 1916 : "Ukulele Square, the Hawaiian Quarter of New York".
(Je crois qu'il se moque un peu) Une publicité dans le Seattle star
du 20 août 1917;Monsieur Kaai et sa publicité dans le Honolulu star bulletin
du 12 octobre 1917. Même Edward, prince de Galles, gratouille son
ukulélé Harmony custom, avec son blason plaqué or dessus.
Je n'ai pas trouvé de photo de l'ukulélé plaqué or du prince Edward, alors voici une photo de remplacement, pour vous prouver que si les Princes de Galles passent, les ukulélés restent. Les fabricants américains de guitares (Martin, Regal ou Harmony, par exemple…
des noms un peu familiers non ?) ont bien flairé le filon, et se mettent eux aussi à construire des ukulélés. Les luthiers hawaiiens travaillent eux aussi d’arrache-pied et l’apprenti de Nunes, Sam Kamaka,
invente la forme pineapple en 1927. Il vend entre 300 et 400 ukulélés par mois, Harmony dix fois plus (
500 000, en 1931).
Martin en Koa des années 20, une publicité pour un Martin Style 5, et un Style 0 des années 1940. Les Martin n'étaient pas donnés, déjà à l'époque... Harmony représentait une alternative moins chère, et, il faut l'avouer, bien plus funky. Harmony produit aussi les Vita, en forme de poire. Un Regal censément de 1919; un autre, plus facile à dater, de 1942. Trois grands, grands noms de l’ukulélé sont actifs dans ces années 1920-1940.
Deux Ricains :
et
Et l'anglais
- George Formby, créateur de strums originaux, qui a popularisé en Grande-Bretagne le banjolélé (Ici, une petite chanson pleine de strums bizarres).
En France aussi, l’ukulélé se répand
(même si on est un peu hésitant sur l’orthographe de la bestiole). Des revendeurs comme
Salabert ou
Beuscher sous-traitent leur production aux luthiers vosgiens de Mirecourt. Salabert s’offre même le luxe de faire sponsoriser sa méthode d’ukulélé (sortie en 1925) par Maurice Chevalier. Autre luthier
(lutheron ?) vosgien,
Patenotte n’a pas reçu le mémo sur les cordes en nylon, du coup ça sonne rigolo.
Gelas brevette quant à lui des ukulélés à double table pour en améliorer la projection.
L'ukulélé Salabert d'Uncle, et la méthode Salabert sponsorisée par Maurice Chavalier. En bas, un catalogue Beuscher des années 20, montrant un ukulélé à table bicolore et à l'orthographe hésistante. Pour entendre le Salabert de Mon Onc' en action, c'est
ICI Gélas à double table et Patenotte. Pour entendre un Gélas, c'est
ICIPour entendre un Patenotte, c'est
LA (ou sur l'intro de Bijou, de Thomas Fersen, que j'ai pas trouvée onlaïne)Et puis, petit à petit, entre la Grande Dépression et la montée en puissance de la guitare (surtout électrique), la popularité et les ventes d’ukulélé chutent…
...Jusqu’aux années 1950, pendant lesquelles
Arthur Godfrey, un animateur de télévision et de radio très populaire aux US
(40 millions de fans, sur 150 millions de Ricains à l’époque, c’est tout de même pas mal), est un
fou d’ukulélé et en joue régulièrement dans ses émissions. Il y vend un peu de tout aussi, de la soupe en boite aux pastilles digestives.
Monsieur Godfrey est parfois crédité comme le Jiminy Cricket ayant soufflé l'idée du baryton, mais c'est disputé) Ici, on peut voir Arthur Godfrey jouer du baryton
(ton ton ton) dans son émission
(sion sion sion).
A la même époque,
Mario Maccaferri, luthier de son état, s’ennuie un peu après avoir inventé la guitare manouche Selmer-Maccaferri, et commence à investir dans le production de machins divers et variés en plastique.
Et un beau jour, les deux se rencontrent
au bord d’une piscine californienne, jouent quelques chansons ensemble, et le pauvre Arthur se lamente sur le manque d’ukulélés sympas en cette sombre période -il pense que, si quelqu'un en sortait un, il pourrait en vendre des tas et des tas.
Evidemment, ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd: Mario, qui a déjà commencé à réfléchir à la production d’instruments en plastoc, sort un ukulélé en styron avec des cordes en nylon, l’
Islander.
A droite, en haut, divers modèles d'Islander; en bas, Mario Maccaferri fait la démonstration éclatante de l'amphibie de ses ukulélés.
Outre les ukulélés, il a également commis des banjolélés (à gauche) Entre Arthur Godfrey et l'Islander, c’est le
love at first sight. Quand il commence à faire de la réclame pour les ukulélés Macafferi, les ventes explosent… 20 ans plus tard, 9 millions d’ukulélés Macafferi trainent un peu partout.
Bon, pour tout savoir sur les ukes en plastoc (mais, genre, vraiment tout), le site d'un
cingl... érudit extrêmement passionné :
Chordmaster