Aujourd’hui j’ai cassé mon ukulele. Ce n’est peut-etre qu’un banal objet, mais il est vivant. C’est mon ami, mon compagnon, celui que j’ai toujours à moins de trois mètres de moi. A force d’etre sans arret a son contact il devient presque une extension de moi-meme, comme un bras en plus, par exemple.
La fete du bœuf gras (ça ne s’invente pas) se tient aujourd’hui à Bazas, j’y suis donc allé pour gagner deux trois pièces, et j’avais presque un plan pour jouer ce soir. En attendant, je me baladais comme à mon habitude avec mon uke posé en équilibre sur ma tete histoire d’au moins en faire rigoler deux ou trois. Mais ce n’était pas la ville que je connaissais. Elle était peuplée de citadins indifférents venus gouter aux joies de ma campagne. Beaucoup faisaient semblant de ne pas me voir. Quand j’ai commencé à jouer, ce fut pire, on m’évitait. Quelques soulards m’ont bien demandé de pousser la chansonnette et je l’ai fait. Mais aujourd’hui je ne pouvais sonner bien dans ma ville surchargée, trop de gens, de bruit, des haut-parleurs qui partout relayaient la parole du maitre de cérémonie de la fete du bœuf gras. Mon agoraphobie me frappait, j’essayais de l’ignorer, de me concentrer sur ce que je faisais, l’uke en équilibre sur la tete.
Il a glissé. J’ai l’habitude qu’il glisse, il me suffit alors d’envoyer un léger coup de tete en avant et mes bras l’accueillent. Cette fois-ci, entouré de centaines de personnes avec certains qui me regardaient, j’ai envoyé ma main le rattraper, ma main a tapé trop fort et éjecté l’ukulele sur les pavés. J’ai entendu des rires, j’ai ri aussi. J’ai ramassé les deux morceaux, et marché pour m’enfuir. Vingt mètres plus loin, je me suis écroulé en hurlant. Une personne m’a aidé à ramasser mes affaires et m’a rappelé qu’il y a des jours comme ça. Les autres s’écartaient de moi. Il m’a fallu ensuite m’extraire de la foule venue voir passer les bœufs, les fifres et les tambours. Sans frapper, alors qu’ayant détruit ce que j’ai de plus cher au monde je voulais détruire ce qui restait d’icelui.
J’ai détruit ce que j’aime, j’en ai l’habitude et c’est ma faute. Ce message s’adresse néanmoins aux indifférents, aux laches, à ceux qui ne répondent pas quand je leur parle : Allez tous vous faire sodomiser par un vieil ane acariatre.